Ariane Bilheran, normalienne (Ulm), philosophe, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, spécialisée dans l’étude de la manipulation, de la paranoïa, de la perversion, du harcèlement et du totalitarisme.
Paru dans l’Antipresse n°297.
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« En réalité il n’avait rien fait. Il s’était contenté d’obéir aux ordres ;
depuis quand est-ce un crime d’obéir aux ordres ?
Depuis quand est-ce une vertu de se rebeller ?
Depuis quand serait-ce de la décence de préférer la mort ? »
Hannah Arendt, « Culpabilité organisée et responsabilité universelle »,
in Humanité et Terreur.
Le corps dans le système totalitaire: l’apogée paranoïaque
Dans l’hypocondrie délirante de la paranoïa, la maladie est partout, vécue comme dangereuse, mortelle, ennemie du vivant. Le malade est opposé au sain, comme l’impur au pur: ordre est donné d’éliminer (et avant cela, d’« évincer » pour reprendre le mot de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale en France, concernant les enfants non vaccinés) la partie du corps social désignée comme impure.
L’impureté est à traquer par la terreur et des méthodes radicales : la fin justifie les moyens. C’est la raison pour laquelle la « terreur est constitutive du corps politique totalitaire, tout comme l’est la légalité pour le corps politique républicain. » (H. Arendt). On pourrait tout autant dire qu’en régime totalitaire, l’illégalité est force de loi.
Combien de cris d’orfraie n’avons-nous pas entendus ces dernières années au nom de la « lutte contre les discriminations » ? Mais lorsque c’est « pour une bonne cause », « pour la santé pour tous » (sauf pour quelques-uns…), cela change tout !
J’ai eu vent d’un événement qui s’est passé au sein d’une fédération sportive française un peu plus d’une semaine après le discours d’Emmanuel Macron du 12 juillet 2021. En plein milieu d’une compétition, les testeurs sont venus pour discriminer les positifs au COVID, les négatifs et les vaccinés. Ces deux dernières catégories avaient des privilèges : elles pourraient finir la compétition. Il est entendu qu’un test PCR avait été demandé aux participants avant l’arrivée sur les lieux. Quarante-huit heures après, un nouveau test invalide donc des candidats présents, parce qu’ils sont désormais estimés positifs, comme au dopage! Ils se sont déplacés, ils se sont entraînés toute l’année, ils ne pourront pas concourir. Et ils ne sont pas malades. Des bracelets de différentes couleurs sont donc distribués : les favorisés, les rescapés et les condamnés. Aucun mouvement de masse boycottant la compétition. Tout le monde s’exécute, après quelques vives protestations orales.
La persécution des corps, entamée par le prélude pervers, trouve son apogée dans la décompensation paranoïaque: la ségrégation et la maltraitance sont permises, pourvu qu’elles obéissent à l’idéal tyrannique. Si rien n’arrête le délire paranoïaque, il ambitionnera d’éliminer les corps estimés « positifs », comme dans la compétition. Pas d’impureté, quelle qu’elle soit !
Plus le corps sera estimé invalide, plus il fera partie des corps à faire disparaître. Car derrière le corps pur, il y a le mythe du corps fort, viril, puissant. Si la perversion considère l’autre comme un instrument, pour sa propre jouissance (transgressions, camps de travail etc.), la paranoïa est encore d’une autre nature, car elle n’a pas accès à l’altérité, et c’est aussi en cela que la dimension psychotique se révèle. Le paranoïaque se permet donc d’agir sur le corps de l’autre comme si c’était le sien propre, y transposant ses angoisses, son vécu de persécution, sa haine et sa vision morcelée voire ses pulsions de démembrement et de cannibalisme.
Tout ce qui bouge, tout ce qui est vivant, tout ce qui résiste, est vécu comme traître et doit être éliminé. Le corps de l’autre est coupable, en tant que porteur potentiel de virus, c’est-à-dire de vie. L’ambition paranoïaque est donc de neutraliser et contrôler ce corps, mais cela ne suffira pas. Il faudra, dans un paradoxe implacable, supprimer la vie pour conserver la vie.
Rappelons que la négation des droits de l’individu, pour le réduire à une cellule du corps social entendu comme corps organique, est l’apanage des régimes totalitaires. L’être humain est rétréci à l’état de cellule biologique malade, de corps contaminé et/ou contaminant. D’ailleurs, ceux qui, d’aventure, chercheraient à s’émanciper de ce grand corps organique sont présumés coupables (de l’expansion de l’épidémie) : la mère-ogre ne saurait laisser ses bébés sortir du ventre, sans angoisser elle-même sa propre mort. C’est de ce nœud archaïque dont il est question : laisser l’autre sortir du ventre tue.
Le vivant est l’ennemi.
Le délire paranoïaque fait abstraction de la complexité du corps humain et de son fonctionnement auto-organisé et systémique. Le corps est envisagé comme un objet inerte sur lequel circule un virus, vu comme l’unique facteur d’une maladie, ce qui est une aberration à la fois épistémologique et méthodologique. L’idée d’une immunité autre qu’artificielle est évacuée: le corps est un réceptacle, porteur d’un corps étranger et invisible. Ce « corps étranger » ne se voit pas à l’œil nu, serait dans l’air, resterait sur les surfaces durant plusieurs jours. Et même, certains nouveaux «variants» ne seraient pas détectables par les tests !
Le corps malade et fragile est dangereux, le corps vieillissant aussi (le système totalitaire finit toujours par promouvoir l’euthanasie des vieux et des « inutiles »), le corps de la femme enceinte est vécu comme menaçant (il faut prévoir l’avortement et l’infanticide jusqu’à la naissance, cf. loi bioéthique en France) ; la mort est envisagée avec un tel effroi qu’il faut en supprimer la trace (gazage, incinération). Les corps sont emballés dans des sacs et des boîtes hermétiques.
Chacun est coupable de la maladie de l’autre; plus personne n’est responsable de son propre état de santé. Celui qui récuse le traitement politico-médiatique de la chose devient donc un ennemi de la patrie, un traître, un collabo au virus, un assassin. L’ennemi est invisible, et il est partout. Les corps de la population sont perçus comme potentiellement malades, infectieux, dangereux, et cette ghettoïsation s’appliquera au départ à une partie de la population, avant de cibler tout le monde, il faut le rappeler. La persécution ne s’embarrasse pas des détails.
Le totalitarisme réduit le corps humain à sa plus élémentaire expression, qui sert de marqueur à la ségrégation. C’est bien au regard des traits de la couleur de peau, ou encore de la vaillance ou non des corps, qu’a lieu la sélection entre ceux qui ont des droits, et ceux qui sont relégués à la frontière des permissions octroyées, c’est-à-dire hors de la vie sociale et politique (catégorie de sous-citoyens, à la lisière des bêtes sauvages, en dehors du monde civilisé).
Est-ce vraiment un hasard d’avoir rencontré, au hasard de mes recherches, l’existence du passeport restreignant la circulation autant dans le nazisme (pour des raisons expressément sanitaires) que dans l’URSS de l’époque stalinienne (le sanitaire y était alors imbriqué avec des motifs politiques de contrôle des individus) ? Les passeports de l’URSS stalinienne avaient en effet une mission « prophylactique », sur fond de nettoyage répressif, délimitant des zones autorisées ou non à la circulation.
L’éviction dès le départ de la notion complexe de « système immunitaire » oriente la pensée vers un corps dénué de capacités à réagir s’il n’est pas vacciné. Or, c’est pourtant sur la sollicitation du même système immunitaire que fonctionne le vaccin. Mais le délire paranoïaque n’est plus à un paradoxe près.
Le phénomène totalitaire finit toujours par mettre en scène un corps désarticulé sans âme, mutilé, objet de torture. La torture est un moment de l’expérience totalitaire qui doit se comprendre dans son projet : il ne s’agit pas de faire parler, mais de faire taire, de réduire au silence, d’annihiler la parole humaine. Que ceux qui ont le cœur bien accroché regardent de plus près la promotion des mutilations transgenres sur les enfants qui proviennent de John Money, apologue de la pédophilie, dont les « recherches » ont été financées par Rockefeller avec un lien direct entre ce dernier, l’équipe Kinsey (dont John Money faisait partie) et le nazisme.
Le chantage à la vaccination est le suivant : si vous n’êtes pas vaccinés, vous n’aurez plus le droit à un traitement digne d’un être humain, vous n’aurez même plus le droit à des soins, vous n’aurez plus le droit de travailler, vous pourrez (éventuellement) mourir en marge de la société, en tant que parias, ou pire, vous serez traités comme des criminels dangereux et des ennemis publics qui pourront également être emprisonnés sans date de sortie dans des camps concentrationnaires. « Les camps de concentration et d’extermination des régimes totalitaires servent de laboratoires où la conviction fondamentale du totalitarisme que tout est possible se vérifie. » Peu importe comment ces camps se nommeront: « camps de quarantaine », « camps de soin » etc. C’est la logique paranoïaque qui, si elle n’est pas freinée ou entravée par une forte opposition, se déroulera comme le commande le délire. Dans le camp, le corps est soumis aux agressions, à la faim, au froid, aux maladies, aux maltraitances sexuelles, à la déshumanisation, aux expérimentations en tout genre. Pour Hannah Arendt, dans Le système totalitaire, « le prisonnier d’un camp n’a pas de prix puisqu’on peut le remplacer » (p. 181). La valeur marchande sur le corps humain relève de la perversion: instrumentaliser à outrance ce qui en saurait l’être. Rappelons-nous que la perversion n’est que l’instrument du déploiement du totalitarisme.
Le but n’est plus l’aliénation mais l’annihilation du sujet humain.
Le totalitarisme est par essence génocidaire ; il n’a plus besoin de l’humain, ou plutôt, il prétend le créer de nouveau, à partir de zéro: cet « homme nouveau », à qui il faut supprimer la liberté, pour faire régner l’idéal tyrannique et malsain de pureté. L’homme du futur sera un mélange d’ordinateur et de transgenre. L’apologie du corps puissant, de la volonté de puissance, du surhomme transhumanisé suppose l’élimination des supposés inutiles, des corps malades, des corps souffreteux.
Dans le phénomène totalitaire, la souffrance des corps vient faire témoignage de notre humanité. Beaucoup d’êtres humains somatisent la violence vécue dans la souffrance des corps. Il n’y a pas suffisamment de mots pour exprimer cette violence, aussi elle s’inscrit dans le corps, et parfois jusqu’au passage à l’acte, qu’il soit hétéroagressif (sur autrui) ou autoagressif.
L’augmentation énorme des taux de suicides dans les totalitarismes est un marqueur évident, de même que celle des décompensations psychotiques. La paranoïa rend schizophrène, c’est bien ce que Racamier avait découvert. Les phases de décompensation du pouvoir sont dangereuses, car elles exhortent au passage à l’acte. Si ce n’est pas sur soi, ce sera sur autrui, et lorsque la Loi est transgressée en permanence par le régime totalitaire, plus rien ne fait barrage. Aux déclarations violentes propageant l’idée que serait par exemple possible une vaccination de force, « avec les dents et les menottes », « entre deux policiers », ou encore, aux illusions mensongères d’un hypothétique retour à la vie normale d’avant, aux innombrables injonctions paradoxales et à la rupture du contrat social, réduisant la définition du civisme au statut d’être un vacciné zélé, répondent désormais des mises en scène comme celle des guillotines dans les Landes.
Ce tableau indique que les passages à l’acte meurtriers dans la société française sont en gestation, sur le mode d’une guerre civile, dont il est bien évident qu’elle correspondrait aux vœux du pouvoir harceleur: divide et impera, ou encore, ordo « totalitarius » ab chao.
C’est la raison pour laquelle la pression sur le peuple ne saurait se relâcher : pénuries et attentats sont sans doute aussi à prévoir au menu de la rentrée française. Et persécution des enfants : le délire paranoïaque cible essentiellement les innocents, car ils ont les mains pures (contrairement aux passionnés du pouvoir), raison pour laquelle les enfants sont toujours sa cible de choix.