Et en mémoire de mon arrière-grand-père Jacques-André Girolami, officier de l'Etat-Major français, chevalier de la Légion d'Honneur (1924), qui renonça à son titre de Général, en refusant de servir le gouvernement de Pétain.
Accompagnée d'une citation de l'écrivain Stefan Zweig, je veux rendre hommage à toutes les professionnels et personnels (soignants, pompiers, médecins, personnels administratifs, etc.) qui ont, par leur refus héroïque du chantage et de la division du corps social (qui leur est imputée par un retournement pervers de culpabilité), subi les représailles du pouvoir.
Ces représailles ne sont qu'un prélude à une suite encore plus inquiétante, car il est certain que le harcèlement ne s'arrêtera pas en si bon chemin, que ce soit en intensité, ou dans ses propensions à s'étendre à d'autres citoyens.
Il est bien sûr que tous ceux qui feignent de ne pas voir ni comprendre ce qui se passe, ou qui se réfugient derrière des prétextes démontrant par là-même qu'ils n'ont pas fait l'effort de s'informer correctement (ce qui est de la responsabilité de chacun), portent une immense responsabilité devant l'Histoire.
Le harcèlement n'est jamais l'affaire d'un harceleur et de sa victime.
Il est l'affaire d'un groupe tout entier qui cautionne, se tait, et y participe par son silence, ou par une complicité plus active encore.
Il existe des décisions et des actes qui renforcent notre intégrité, comme d'autres la dégradent.
Ce qui s'est passé en France ce 15 septembre 2021 est un scandale moral, éthique et déontologique qui place au rang de parias des catégories de citoyens.
La banale indifférence et le silence moqueur devant la souffrance que cette violence réitérée engendre dans la population sont aujourd'hui coupables.
Stefan Zweig, dans « Le Grand Silence », une allocution prononcée le 4 mai 1940 :
« Pourtant, l’étranglement de la liberté de penser et les violences faites aux intellectuels d’Allemagne, ce n’était qu’un prélude. Vous connaissez tous le calendrier sanglant des agressions hitlériennes contre les individus et les peuples. Les victimes changèrent, la méthode resta la même. Chaque fois, une attaque soudaine contre un pays faible, un cri presque aussitôt étouffé : « Au secours, au secours ! » - puis le silence. Le silence glacial, le silence total. Plus le moindre gémissement, plus le moindre soupir. Comme si ce pays, avec ses villes et ses villages, ses millions d’êtres humains, avait été englouti sous la terre. Plus aucune lettre, plus de nouvelles fiables. Mortes, les voix de la famille et des amis ; morte, la voix des poètes et des écrivains ; plus aucun signe de personne, le silence… Un silence qui aujourd’hui pèse comme du plomb sur tant de nations, sur tant de peuples qui étaient encore libres, hier, et dont les voix étaient pour nous celles de nos frères.
Ce silence, cet effroyable, impénétrable, interminable silence, je l’entends la nuit, je l’entends le jour, il remplit mes oreilles et mon âme de son indescriptible effroi. Il est plus insupportable que n’importe quel bruit ; il contient plus d’horreur que le tonnerre, que le hurlement des sirènes, que le fracas des explosions. Il est nerveusement plus dévastateur, plus oppressant que les cris ou les sanglots, car à chaque seconde je suis conscient que ce silence est gros de l’asservissement de tous ces millions de personnes. Ce n’est en aucune manière le silence de la solitude. Quand le grand calme règne sur un montagne, sur un lac, sur une forêt, on dirait que le paysage retient son souffle pour se reposer, pour rêver. Ce calme-là est naturel. Mais celui qui me tourmente et m’accable, je sais que c’est un calme artificiel, un silence imposé par la menace, par la contrainte, un silence commandé, extorqué, un silence de la terreur. C’est un gigantesque linceul, tissé par les mensonges, et dessous j’aperçois les sursauts désespérés de ceux qui ne veulent pas se laisser enterrer vivants ; je devine et je ressens derrière ce silence l’humiliation et l’indignation de ces millions de voix bâillonnées et étouffées. Leur silence vrille et blesse mes oreilles, il assaille mon âme, le jour et la nuit. (…) Il ne leur reste plus rien désormais que l’arme ultime des faibles : l’espérance et la prière. Depuis des milliers de maisons, des millions de cœurs, cette prière secrète monte vers le ciel. Et la vie n’aurait plus aucun sens pour moi si je n’avais la conviction ardente que la justice éternelle entendra leur silence accusateur. »
Ariane Bilheran.