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Du sophisme en politique : l'exemple de la psychanalyse

Dernière mise à jour : 17 juil.

13 février 2012


Á l’heure actuelle, la psychanalyse est attaquée par un député et un courant politique qui souhaitent interdire l’approche psychanalytique et son enseignement dans la recherche universitaire...


Définition préalable :

Le sophisme est un raisonnement qui a l'air d'être logique mais ne l'est pas.

C'est un procédé de langage manipulateur.


Á l’heure actuelle, dans un contexte de précarisation de l'emploi et d'impuissance publique où il y aurait sans doute plus important à faire, la psychanalyse est attaquée par un député et une influence politique qui souhaitent interdire l’approche psychanalytique dans le soin et son enseignement dans la recherche universitaire.

Á l’appui de cette interdiction, l’instrumentalisation de propos choquants tenus par quelques rares psychanalystes, qui ne reflètent absolument pas les positions dominantes chez les analystes.


Quelle profession peut se targuer de ne pas avoir ses propres incompétents ?


Serait-ce une raison satisfaisante pour interdire une profession et l’enseignement de sa discipline ?

C’est comme si… l’on interdisait la pratique de la médecine car quelques rares médecins ont pu être condamnés pour des dérives médicales… ou pour avoir abusé de leurs patients…

C’est comme si… l’on interdisait de lire l’œuvre de Karl Marx car il y eut des disciples marxistes à l’origine de systèmes totalitaires…

C’est comme si… l’on interdisait à tous les automobilistes de conduire car quelques-uns ont été à l’origine d’accidents...


Nous voyons là un prétexte visant à interdire progressivement un courant de pensée en France.


Ici, la rhétorique devient manipulatrice, perverse, sophistique : elle réduit la psychanalyse à quelques propos, et se fonde sur des dérapages pour en intimer l’interdiction !

Elle feint d’oublier… Que les notions d’inconscient, de névrose, de perversion, d’hystérie, c’est-à-dire les racines de la psychologie... ont été créées par la psychanalyse.

Notons que l'induction factice du particulier au général, et sa qualification négative, sont au fondement de la pensée raciste, sexiste, antisémite, en somme, de la discrimination. Parce que quelques-uns sont, agissent ou pensent ainsi, alors « les... [arabes, juifs, noirs, chinois, allemands, espagnols, femmes, homosexuels, psychanalystes...] » sont… [attribut négatif].

Mais il est vrai que le climat français devient de plus en plus complaisant, par économie de pensée, à ces raccourcis dangereux...


Enseigner la psychologie sans enseigner Freud ?


Ce serait comme… enseigner la philosophie sans enseigner Platon.

Ce serait comme… enseigner la géométrie sans enseigner Pythagore.

Ce serait comme… enseigner la physique sans enseigner Einstein.

Á moins qu’il ne s’agisse de supprimer délibérément toute étude de la vie psychique, pour réduire l’être humain à une somme de comportements… et laisser ainsi au seul champ politique la connaissance de la manipulation psychique.

Seules la psychanalyse et la philosophie s'interrogent avec profondeur sur les maux qui nous traversent, ceux d'une économie totalement déréglée au niveau du pulsionnel, et d'une politique qui, après avoir créé une opposition artificielle entre sécurité et liberté, tente de nous persuader, par conditionnement et matraquage, de sacrifier la seconde au profit de la première...

D'ailleurs, la police contre la psychanalyse augmente à mesure de l'impuissance politique, démasquant ainsi le visage d'une nouvelle chasse aux sorcières.


La recherche universitaire doit être plurielle, surtout dans le soin psychique.


Depuis quelques années déjà, le politique se targue de diviser les courants dans la psychologie, tant au niveau de la pratique que de la recherche.

Pourquoi ne pas aimer et chérir cette diversité dans la recherche en psychologie et dans le soin psychique ?

Pourquoi ne pas l’utiliser pour optimiser les chances ?

Pourquoi ne pas laisser tout simplement le choix de sa thérapie au patient ?

Derrière la notion de « résultat » (d’ailleurs, qu’est-ce qu’un « résultat » psychique ? Moins de souffrance ? Plus de lucidité ? Plus de conscience ? La transformation du symptôme ?), il y a une idéologie : celle de la santé consommable, et il y a un but : la soumission de masse.


La psychanalyse n’est ni plus ni moins qu’une façon de penser le monde.


Elle a été l’instrument de nombreuses libérations du XXe siècle.

Elle a pensé les processus totalitaires de masse, et elle en fut la victime, du IIIe Reich à la dictature argentine en passant par les totalitarismes communistes.

Elle reconnaît l'existence intime de la vie psychique, et produit par là-même une théorie de libération des sujets humains, une théorie du sujet rebelle à tout endoctrinement.

Il est sûr que cette ambition a pu déranger...

Elle ne saurait se réduire à une théorie inepte sur l’autisme dont on ne sait même pas à qui la prêter.


Son interdiction a toujours été le fruit de climats politiques liberticides, et sa persécution également.


L’attaque et la velléité de censure qui concernent la psychanalyse aujourd’hui viseront la philosophie, la médecine, l’histoire, la science demain.


Nulle civilisation n'a trouvé d'issue heureuse à ces périodes de fermeture psychique et de repli.


Tôt ou tard, nous récolterons ce que nous aurons semé (nos complaisances, nos trahisons, notre lâcheté...).

Nous en sommes tous responsables.

Mais nous ne sommes pas impuissants.

Car le travail commence toujours par soi...


Regardons en nous-même pour y nettoyer le négatif avant d'incriminer autrui sans le connaître.

Ne pratiquons pas le culte de la moindre pensée, poursuivons nos efforts, notre ouverture de conscience.

Travaillons chaque jour notre générosité et notre bienveillance envers autrui.

Ne cédons pas aux sirènes de la peur, de la frustration, de l'envie, de la haine.

Ne nous laissons plus manipuler.

Retrouvons le courage de dire non.

Et surtout...

Restons vigilants, refusons les simplifications extrêmes, préservons notre liberté de penser, et accroissons notre culture chaque jour par une ouverture plus prononcée aux civilisations passées et étrangères, pour ne pas nous en remettre, par ignorance ou confort, à une démagogie politique du ce qui serait « bon et bien » pour nous, à des discours latents de haine sous des allures très policées, à une intolérance à laquelle le conformisme le plus redoutable ferait allégeance...


Ariane BILHERAN, normalienne, psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie. Auteure de L'autorité (2009), Harcèlement. Famille, Institution, Entreprise (2009), Tous des harcelés ? (2010), et Les mécanismes de la manipulation (2012).


Cynthia FLEURY, professeur de philosophie à l’American University of Paris et psychanalyste. Auteure de Les pathologies de la démocratie (Livre de Poche, 2009), et La fin du courage (Livre de Poche, 2011).

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