Ariane Bilheran : «C’est toujours un hypothétique danger supérieur qui justifie de supprimer des droits aux êtres humains.»
Le totalitarisme est-il une maladie de civilisation ?
Ariane Bilheran est normalienne, philosophe, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie. Elle a publié près d’une trentaine de livres dont certains sont traduits en plusieurs langues. Elle a passé près de trente ans à analyser les déviances et l’arbitraire du pouvoir transgresseur dans les différents collectifs du champ politique et social, notamment dans le cadre de ses travaux sur le harcèlement. Ses recherches, son expérience clinique auprès des particuliers et des entreprises, ainsi que son expérience de vie, l’ont amenée à écrire cet essai sur le totalitarisme.
Le totalitarisme n’a jamais été complètement envisagé sous l’angle d’une maladie de civilisation, une pathologie collective délirante, du côté de la psychopathologie, avec les ramifications qui s’ensuivent. C’est ce qu’Ariane Bilheran propose, avec cet essai psychologique et philosophique sur le pouvoir total en politique. Elle démontre que le totalitarisme est un système paranoïaque dans lequel les pathologies perverses, sadiques, transgressives et psychopathes sont à l’honneur. La condition de survie de ce système est un mensonge premier qui est maintenu dans le secret, l’endoctrinement des masses à l’idéologie, la mise sous terreur des individus et des collectifs, entraînant tout à la fois sidération traumatique, jouissance pour certains et horreur pour d’autres.
Psychopathologie du totalitarisme d’Ariane Bilheran est publié aux Éditions Guy Trédaniel.
Écouter l'entretien
Kernews : Certains observateurs soulignent que beaucoup de gens n’ont plus le même comportement depuis le confinement. Cette thèse est soutenue par des analyses sérieuses : que s’est-il passé dans la tête des intéressés ?
Ariane Bilheran : Ce qui s’est passé, c’est tout simplement l’application de techniques de harcèlement aux populations. C’est la méthode utilisée par le pouvoir, quand il glisse vers le totalitarisme, avec notamment des chocs traumatiques appliqués aux populations. C’est la raison pour laquelle les gens peuvent devenir fous. Ils subissent des chocs traumatiques, des messages paradoxaux, une confiscation de la langue,… Tout cela pour les soumettre.
Les gens sont pris dans des verrous psychiques, des interdits de penser.
Il y a quelques décennies, lorsqu’il y avait des sujets polémiques, on arrivait toujours à s’expliquer en argumentant, alors que maintenant les gens s’énervent en traitant leurs interlocuteurs, selon les sujets, de racistes ou de complotistes…
C’est la caractéristique de l’impossibilité du débat. Les gens sont pris dans des verrous psychiques, des interdits de penser et c’est aussi lié à des manipulations dans le langage, à travers des grandes manipulations médiatiques. Tout cela pour désigner certains individus qui pourraient remettre en question le dogme dominant. On n’est plus du tout dans une rationalité permettant d’établir les faits, mais dans l’incitation à la calomnie des indésirables, c’est-à-dire ceux qui remettent en question le dogme dominant. C’est une exclusion du débat et c’est ce que l’on observe dans les grands médias, il y a des simulacres de polémiques, mais il n’y a plus de débats entre des individus qui ne seraient pas d’accord et qui seraient bienveillants les uns envers les autres pour écouter les arguments des autres. Aujourd’hui, il y a des impositions d’idées auxquelles on doit souscrire sans réfléchir.
Comment cette évolution de l’État s’est-elle produite et pour quelles raisons ?
Il n’est plus du tout utile de faire illusion en politique : c’est-à-dire que maintenant on peut totalement assumer des propos haineux et des conduites dysfonctionnelles. C’est un premier point qui me paraît important. Ensuite, c’est une politique qui privilégie l’intérêt personnel. Nos dirigeants ne dirigent plus vraiment quoi que ce soit. Ce sont des marionnettes entre les mains d’autres intérêts ou de lobbies, et ils sont maintenus en place pour cette utilité.
D’ailleurs, dans les motivations de vote, on entend de plus en plus des arguments comme «Il a fait de grandes études», «Ce serait le gendre idéal» ou «C’est une belle femme…»
Le vote est devenu un grand jeu de dupes. Cela fait longtemps que nous n’avons plus vraiment des représentants du peuple. Il peut y avoir des exceptions, mais ceux qui exercent vraiment le pouvoir ne font pas une politique qui va dans l’intérêt des Français. Je pense que tout le monde serait d’accord sur ce point.
Votre livre est préfacé par Véra Sharav, rescapée des camps, qui a beaucoup travaillé sur les parallèles entre l’Allemagne nazie et les politiques liées au Covid. Elle dénonce aussi très fréquemment "l’éducation sexuelle" à l’école…
J’analyse ce phénomène depuis 2016, notamment sur les textes officiels de l’OMS, qui prétend prendre possession de l’éducation des enfants, à travers par exemple un texte qui donne des standards pour l’éducation sexuelle en Europe. J’avais intitulé un livre, L’imposture des droits sexuels, ou la loi du pédophile au service du totalitarisme mondial. J’avais déjà mentionné le terme de totalitarisme comme une possible évolution, tout simplement parce que c’était la déduction à laquelle me menait l’étude de ces textes. Ces textes sont extrêmement problématiques et l’on voit qu’ils sont adoptés par différents pays. On a eu un grand désordre médiatique en Belgique avec EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et c’est exactement la même chose en France avec le programme EdSens. Il faut absolument lire ces documents. Les professionnels du développement infantile et de la psychologie de l’enfance sont totalement écartés, comme dans les textes de l’OMS, au profit de lobbies qui entendent sexualiser l’enfant, c’est-à-dire lui attribuer une sexualité dès le plus jeune âge, ce qui contredit les recherches scientifiques sur la psychologie du développement. Les experts des abus sexuels infantiles sont calomniés, censurés et ridiculisés, alors qu’ils devraient être entendus. En 2017, sous mon impulsion, j’avais déjà mobilisé pas mal de professionnels, des pédopsychiatres et des psychologues, et il faut aussi noter que cette intrusion de l’OMS viole tout le corpus juridique de protection des mineurs. Nous avons mis en place une pétition et nous avons maintenant des avocats et des professeurs de droit pénal qui nous rejoignent.
Au début, on vous avait prise pour une complotiste, mais on constate à présent un effet de sidération chez certains parents d’élèves…
J’ai publié l’année dernière la cinquième édition de L’imposture des droits sexuels, parce qu’il y a des renouvellements, des liens qui disparaissent. C’est un savant jeu de pistes. Il était facile de s’apercevoir de tout cela, mais il fallait faire l’effort d’aller lire les textes. De nombreux professionnels n’ont pas souhaité faire cet effort et je pense qu’il y avait une grande crainte chez eux à l’idée de voir ce qu’ils allaient y trouver. J’avais utilisé le terme de totalitarisme en avril 2020, en évoquant le totalitarisme sanitaire. Ensuite, le journaliste Stéphan Bureau m’avait interviewée à Radio Canada, et cela avait fait scandale. J’avais été très critiquée, alors qu’il s’agit simplement d’ouvrir les yeux et de lire. À partir de là, on comprend très bien dans quelle situation nous sommes.
Les grands médias de masse vont insuffler une propagande qui va taire ce qui est le plus litigieux.
Parfois, lorsque l’on évoque certains sujets, on constate que 20 à 30 % des gens ont un niveau d’information assez élevé, tandis que les autres se contentent de répéter le vernis médiatique. Comment expliquez-vous le décalage de plus en plus important entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
Tout dépend de la source des informations dont vous disposez. C’est la raison pour laquelle je ne traite que les textes officiels. Par exemple, cette expérience sur les dits «droits sexuels» des enfants m’a donné la certitude qu’il y a, d’un côté, les textes officiels qui figent les choses et qui traduisent ce qui se réalisera et, de l’autre côté, un paravent, les grands médias de masse qui vont insuffler une propagande qui va taire ce qui est le plus litigieux. On m’a dit que l’OMS n’allait pas enseigner la masturbation aux enfants de quatre ans… Or c’est pourtant vrai ! Mais comme les gens ne vont pas lire les textes officiels, il y a cet écran de fumée à travers les médias de masse. Cela permet de cacher les sujets problématiques. Donc, ceux qui ne vont pas faire l’effort d’aller chercher l’information par eux-mêmes, ou parce qu’ils n’ont pas vécu eux-mêmes cette situation, sont pris dans cette illusion hypnotique de la narration du média officiel. Le discours sur la réalité est généralement très éloigné de la réalité.
Cet état de confusion a pour conséquence qu’au bout d’un moment le cerveau se débranche.
À l’époque du rideau de fer, les gens qui étaient à l’Est devaient faire semblant de croire le narratif officiel, mais ils écoutaient en cachette les radios de l’Ouest et de plus en plus d’entre eux ont su qu’on leur mentait. Pourquoi la situation est-elle différente aujourd’hui ?
Il y a des individus qui font quand même l’effort d’aller chercher des informations. Cependant, on est dans la confusion, avec de multiples discours. On mélange plus ou moins savamment le vrai et le faux, dans des proportions différentes. Cet état de confusion a pour conséquence qu’au bout d’un moment le cerveau se débranche, parce qu’il n’y comprend plus rien. Il y a trop d’informations, avec trop de mélanges et, pour sa propre survie, on est tenté de débrancher, sinon on va avoir la sensation de devenir fou. L’autre facteur, c’est le règne de l’image. Nous sommes à un moment où il y a plus seulement des discours, mais des images, des vidéos permanentes, et le cerveau humain n’est pas capable de filtrer l’information, même s’il peut mettre de la rationalité après coup sur l’image. En réalité, il absorbe l’image. Nous restons des enfants à cet égard. Cela crée une sorte d’addiction à des images violentes ou à des images traumatiques. On voit bien la multiplication des informations diffusées qui sont de cet ordre et cette addiction sidère la pensée et empêche la réflexion. Il y a énormément d’informations qui traversent Internet et les médias en général, mais c’est une information qui est purement émotionnelle, souvent très traumatique, et qui vient entraver toute possibilité de contradiction et de réflexion.
Les grands médias de masse sont souvent de grands propagandistes d’informations mélangées avec du vrai et du faux.
On mélange le vrai et le faux, on utilise l’image, or ce sont exactement les arguments qui sont avancés dans les médias institutionnels pour dénoncer ce que l’on appelle les fake news…
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage… Les grands médias de masse sont souvent de grands propagandistes d’informations mélangées avec du vrai et du faux. Je me souviens d’un titre de Libération en 2018 qui disait que le ministère de l’Éducation nationale ne voulait pas créer une éducation à la sexualité. La première partie était effectivement juste : ce n’était pas le ministère de l’Éducation nationale. Mais on n’avait pas la deuxième partie de l’information, pourtant essentielle, qui était que cette formation passait par le ministère de la Santé, qui est en contrat avec l’Éducation nationale. On tronque les informations, on requalifie les faits, on focalise l’attention sur tel sujet plutôt que tel autre, pour faire passer des lois de plus en plus liberticides. Tout ceci fait partie des stratégies du pouvoir. La question est de savoir qui finance quel média.
Vous êtes aussi une spécialiste des travaux de la grande philosophe Hannah Arendt. Tout ça pour ça ? A-t-on aussi rapidement oublié son enseignement ?
Je ne crois pas que l’on prenne des leçons d’histoire. J’étudie les processus psychiques et je pense que plus on va avoir des situations de traumatismes individuels et collectifs extrêmement lourds, plus il va être facile, pour ceux qui ont l’avidité et la passion du pouvoir – ils ont toujours existé – de reprendre du contrôle sur les populations.
La langue a été confisquée et manipulée.
Les travaux d’Hannah Arendt sur la manipulation des régimes nazis et bolcheviques sont des références dans le monde entier, or maintenant vous nous dites que, moins d’un siècle après Goebbels, on peut recopier Goebbels…
Tout à fait. Ceci s’illustre très bien à travers le récit du journaliste Orwell qui évoquait la novlangue dans 1984. La propagande passe toujours par une manipulation du langage que j’avais analysée dans le débat interdit sur la crise que nous avons eue pendant la période de la Covid. C’était une crise politique. La langue a été confisquée et manipulée. Elle s’est retrouvée envahie de termes techniques auxquels personne ne comprenait rien, puis d’expressions paradoxales, de décisions politiques qui changeaient du jour au lendemain, et de slogans. Tout cela fait partie de l’analyse que l’on retrouve chez Victor Klemperer, que je cite beaucoup, qui avait évoqué la confiscation totalitaire de la langue.
Supprimer petit à petit des droits inaliénables, c’est-à-dire des droits humains qui garantissent notre sécurité.
Évidemment, il convient de préciser que vous n’accusez personne d’être un nouveau Goebbels, mais que vous analysez un phénomène de masse, donc il n’y a aucune accusation personnelle. Que pensez-vous des interdictions qui se multiplient autour de la question du climat, avec la fin progressive de la maison individuelle, le projet de limiter les voyages en avion ou même le nombre de vêtements neufs ?
Le système totalitaire est un système, il est important de rappeler que c’est quelque chose de collectif, même si c’est certainement insufflé par différentes décisions politiques. Tout cela fonctionne à l’idéologie, c’est-à-dire une croyance qui est complètement dénuée de fondement dans la réalité. Par exemple, on nous parle toujours du consensus scientifique. En réalité, la science est faite de débats et vous avez des scientifiques qui ne sont pas d’accord sur ce sujet, comme sur d’autres. Tout ceci est passé sous silence et est utilisé pour supprimer petit à petit des droits inaliénables, c’est-à-dire des droits humains qui garantissent notre sécurité, notre propriété privée et nos libertés fondamentales. Il y a un jeu de manivelle pour supprimer progressivement nos droits au nom d’un danger supérieur sur lequel il n’y a pas de consensus scientifique. Ce qui m’intéresse, ce sont les processus et comment on peut calquer de mêmes grilles d’analyse sur des décors différents. On retrouve les mêmes schémas. C’est toujours un hypothétique danger supérieur qui justifie de supprimer des droits aux êtres humains. Philosophiquement, comme politiquement, on a pu avoir des états d’exception dans le passé, mais ils étaient limités dans le temps. On assiste à une suppression progressive de droits dont on voit bien qu’il n’est pas question qu’ils soient rétablis.
Face à cela, on traite de complotistes ceux qui ne s’inscrivent pas dans la ligne officielle…
On décrédibilise les véritables experts au profit de pseudo-experts. Regardez le pedigree des uns et des autres sur les plateaux de télévision : on est très étonné de leur légitimité et, quand on creuse un peu, on trouve rapidement et souvent des conflits d’intérêts.