Un remerciement spécial à Agnès Bonnet, pour m’avoir prévenue de sa disparition.
Jean Louis Pedinielli, haute figure de la psychologie clinique et de la psychopathologie universitaire, nous a quittés, en Corse, le 04 juillet 2021.
J'adresse une pensée spéciale à son épouse et à sa famille.
Jean Louis aura marqué des générations d’étudiants, et nous lui devons tous beaucoup.
Pour ma part, c’est grâce à lui que je suis parvenue à faire ma transition de la philosophie à la psychologie clinique sur le versant professionnel.
Et il est certain que si Jean Louis ne m’avait pas aidée, en m’orientant dans les démarches, en me confiant des enseignements, et en m’aidant dans les postures à adopter, pour faciliter mon intégration, je n’aurais pas du tout eu le même destin.
Jean Louis a toujours fait autorité, par son extrême acuité, sa tendre vigilance pour les étudiants, son art de la diplomatie dans la politique universitaire, son humilité discrète et son désir de transmission. Il était un Maître, de ces anciennes figures capables de diriger sans imposer, d’orienter sans contraindre, de soutenir sans materner, de s’effacer en cas de nécessité. Sa porte était toujours ouverte au sens propre, pour qui avait besoin d’aide. Et combien de fois suis-je arrivée, pour me confier dans son bureau, et parfois en larmes, comme tant d’autres ! Nous aimions en commun Marguerite Duras, il m’avait dit « tu te rends compte, ce sont des choses incroyables, tant d’années passées avec sa mère folle, dans l’isolement, c’est à cela qu’on doit la profondeur de sa Littérature ».
Il a donné à des milliers d’étudiants ce petit supplément d’âme, fort d’une empathie qui lui permettait d’appréhender autrui dans sa singularité, avec ce regard amusé qui reconnaissait en nous ce que parfois nous-mêmes étions incapables de voir ; il a fait éclore de nombreuses vocations, et des talents cachés.
Il fut assurément mon Maître en psychologie clinique et psychopathologie, toujours présent en cas de déroute, de désespoir, de questionnement, comme une éclaircie que l’on vient chercher au milieu de la tempête et du doute.
C’est aussi à lui que je dois mes premiers pas dans l’édition universitaire, pour mon premier ouvrage en psychologie sur Le harcèlement moral, à l’époque chez Armand Colin, mes premiers articles universitaires dans les revues qualifiantes, qu’il avait cosignés.
Présent également à ma soutenance de thèse, comme rapporteur, il m’a toujours donné son soutien inconditionnel, regardant avec une émotion malicieuse mes états d’âme, et m’accompagnant avec sagesse à calmer mon impulsive rébellion contre les injustices.
Les médisances avaient fait courir le bruit que bien sûr j’avais « couché » pour voir mon premier livre publié si jeune grâce à son aide. Avec cet humour décapant, qui ne le quittait jamais, lors de la parution du livre co-écrit avec Sophie Barthélémy sur Le délire, toujours sous sa direction, il m’avait dit « alors là, on a fait un plan à trois ! ». Et nous avions bien ri de l’insuffisance et de la médiocrité régnant dans les luttes de pouvoir universitaires, des envies, jalousies, rivalités et diffamations des fonds de couloir, dont il fit toujours en sorte de me préserver au maximum, moi qui étais extrêmement sensible, et peu armée dans ma jeunesse pour faire face à la méchanceté.
Il aimait l’Asie, l’Amérique du Sud et les Antilles, j’ai gardé de lui une série de cartes postales qu’il m’envoyait de ses voyages. Jean Louis rêvait d’ailleurs.
Jean Louis était discret ; il n’aimait pas que l’on parle de sa maladie. Il avait beaucoup assumé, très jeune, du handicap ; il savait encadrer de nombreuses recherches, avec une pensée systémique, une faculté à faire les liens entre les êtres, les concepts, et les disciplines, aux antipodes d’une ultra-spécialisation sclérosante, et c’est précisément grâce à son expérience clinique diversifiée qu’il était capable d’identifier, puis de proposer, des chemins adaptés à chaque étudiant.
Un tel maître ne peut se remercier que par l’incarnation de ce qu’il nous a transmis. Pour ma part, rares sont les journées où je n’ai pas une pensée pour Jean Louis, qui refusait que l’on écrive son prénom avec un tiret, pour préserver son attachement à la Corse, ce qui nous reliait également, et nous avions partagé d’heureux moments ensemble à contempler la baie d’Ajaccio. Il m’avait encouragée à partir en Colombie, à suivre l’appel de mon âme dans l’aventure de ma vie.
Ce que Jean Louis aurait souhaité, est que nous puissions continuer son œuvre humaniste, d’une psychologie clinique ouverte à d’autres disciplines, avec humilité et dans la transmission généreuse de ce qu’il nous a lui-même transmis : la dimension essentielle de la subjectivité humaine, de la philosophie pour penser une éthique professionnelle, le respect du destin individuel à la réalisation duquel nous devons aider, en tant que psychologue ou enseignant.
Le psychologue qui ne se contente pas d’aider à panser des plaies, mais qui ambitionne de révéler la beauté de l’âme de ses patients.
L’enseignant qui ne transmet qu’en y mettant toute sa foi, son expérience vécue et son courage, dans la formation de générations futures qui sauront tout à la fois conserver l’ancien et proposer du nouveau.
Jean Louis, tu as largement fait ta part en tant que clinicien, chercheur, universitaire, penseur, auteur, et maître de générations d’étudiants sur plusieurs décennies. Tu as inscrit ta trace dans le sillon des milliers d’étudiants qui portent ta mémoire, consciente et inconsciente, dans leurs œuvres, leurs publications et leurs postures professionnelles. Tes livres font autorité dans le milieu professionnel. Tu t'en vas à l’époque où tout s’effondre, nous laissant ton précieux héritage à faire subsister au milieu du chaos. Puisse ta mémoire nous aider à œuvrer comme rempart face à la technicisation folle de nos existences, à soutenir notre profession très attaquée qui peine à défendre la clinique du sujet, et à combattre la violence du totalitarisme actuel qui s'empare des corps et des esprits, ne s’émeut pas de séparer les essentiels des non-essentiels, ni de considérer inutiles, asociaux et dangereux les marginaux.
Requiescat in pace, Jean Louis.
Requiem d’A Filetta
Présentation personnelle de Jean Louis Pedinielli sur son compte LinkedIn
Psychologue clinicien, ayant suivi une formation analytique, j'ai fréquenté les séminaires de Lacan, de Foucault et de Deleuze, mais j'ai aussi suivi les enseignements de Fédida, de Laplanche, de Dorey, d'Anzieu, de Beauchesne, de Kaufmann. J'ai toujours soutenu une triple activité, que je sois au CNRS, à l'Université ou en clinique : clinicien, enseignant-formateur et chercheur. J'ai travaillé, en tant que clinicien, dans plusieurs lieux : à l'ASE, en Hôpital Psychiatrique, en CHU (psychiatrie de liaison, CMP, Urgences et problèmes spécifiques à certains services : Pneumologie, Cardiologie, Neurologie, Neurochirurgie, Gastro-entérologie, Dermatologie, Réanimation, Chirurgie Cardio Vasculaire, Soins Palliatifs, Addictologie, Hématologie, Néphrologie, Endocrinologie), mais aussi en Libéral. J'ai été enseignant dans les Universités d'Amiens, de Lille, d'Aix-Marseille, de Corte et dans de nombreuses écoles ou formations de soignants (de la Médecine aux aides-soignantes en passant par les IDE, les sages-femmes, les ambulanciers…) mais aussi de travailleurs sociaux (éducateurs, cadres, assistantes sociales…) En tant que chercheur, j'ai travaillé sur l'alexithymie et la pensée opératoire, la définition et la description des addictions (théorie de "l'économie parallèle"), sur les "théories spontanées" des patients, la "maladie du malade" et le "travail de la maladie", l'hypocondrie, la psychopathologie des troubles respiratoires, la psychose (notamment le transfert psychotique et le délire), les comportements suicidaires (suicide, tentatives de suicide et auto-destructiosn indirectes),l'anorexie, les conduites de risques, le rapport à la mort, la douleur, les caractéristiques et l'épistémologie de la recherche clinique… Cette triple position a donné lieu, entre autres, à des articles scientifiques, des articles cliniques, des ouvrages à vocation didactique
Rapport de thèse
UFR Psychologie, Sciences de l’Éducation
Jean-Louis PEDINIELLI
Professeur de psychologie et psychopathologie clinique
Responsable du Master de Psychologie clinique et psychopathologie
Rapport sur la thèse de Ariane Bilheran - « Le temps vécu dans la psychose»
La forme de la thèse correspond bien à ce qui est attendu de ce type de travail. Les éléments essentiels sont présents : revue de la littérature, position du problème, méthodologie, résultats, discussion et production d’idées nouvelles. La bibliographie est extrêmement conséquente, internationale et témoigne d’une familiarité avec des domaines très différents. La lecture du travail permet de noter la grande culture (pas seulement psychopathologique) de la candidate, l’originalité de sa pensée, et ses compétences cliniques. Il s’agit d’un travail rare à notre époque, qui reprend avec pertinence la recherche ouverte par Minkovski et pose, implicitement, la question des rapports entre phénoménologie et psychanalyse. Le rapporteur s’étonne d’une telle culture et de telles capacités cliniques, heuristiques, pédagogiques, scientifiques et stylistiques chez une (aussi) jeune candidate.
La construction de la thèse est originale puisque Ariane Bilheran se réfère explicitement à une perspective anthropologique. Une (hypo)thèse forte sur la structuration de la psychose par une temporalité mythique totalement distincte d’une temporalité sociale est avancée, soutenue par une série de sept hypothèses plus opératoires qui permettent de mette cette thèse à l’épreuve de la clinique. Le travail est réalisé à partir d’études de cas argumentées, discutées et entraînant la conviction. Les limites de ce type de méthode, l’épistémologie de la clinique ainsi que les problèmes éthiques posés par une telle méthodologie sont envisagés.Les résultats sont débattus, argumentés et ils aboutissent à une formulation de la sensation, de la perception et de la représentation du temps dans la psychose. Le travail concret de recherche soutient réellement une thèse – au sens fort du terme – de psychopathologie sur le temps dans la psychose, mais aussi sur le sujet psychotique et sur la temporalité.
La très grande qualité du travail limite les critiques et l’intérêt des sujets abordés susciterait de multiples débats. A mon sens, le point le plus intéressant et susceptible de contradictions est l’hypothèse sur la dimension temporelle de l’inconscient. Certes la discussion est pertinente et, soutenue par une argumentation rigoureuse, elle paraît soutenable. Toutefois, le débat serait à engager autour des différents niveaux de temporalité présents dans les conceptions freudiennes et dans la (les) perspective phénoménologique.
L’intérêt du travail, sa richesse et sa rigueur invitent à laisser ces questions pour la soutenance et permettent de formuler un avis très favorable à la venue en soutenance de ce travail dans la forme actuelle.
Aix le 2 novembre 2007
Jean Louis Pedinielli
Attestation d'enseignements universitaires