07 juin 2010
La mise en place de Cellules Psychologiques dans le monde de l'Entreprise ou en période de crise est quasiment devenue un rituel.
Il est à noter que, d'une façon générale, l’instauration de ces structures modifie la démarche psychologique entendue : le demandeur ne va plus vers le psychologue mais c'est le psychologue qui vient à lui. La demande étant un élément fondamental du travail psychologique, ce point pose déjà des questions déontologiques.
Dans le contexte actuel, durant son parcours professionnel, le salarié est inévitablement confronté à une conjoncture économique incertaine au sein de l'entreprise, généralement sur de longs mois, et débouchant souvent sur l'épreuve de la perte de l'emploi ; perte laissant place à un sentiment de dévalorisation, d'incertitude, d'inquiétude, d'insécurité, voire de détresse morale.
Les Cellules de Reclassement
On a vu fleurir à la fin des années 1980 la mise en place de « Cellules de Reclassement ». Le démarrage de ces organisations a souvent été remis en cause. Le but initial de ces structures était de proposer aux salariés en difficultés la possibilité d'entrevoir l'ouverture vers de nouveaux horizons (en fonction de leurs compétences, de leur âge, de leur mobilité géographique, de leurs motivations), de les orienter vers des cursus de formation, de repositionnement, d'orientation.
Si la Cellule de Reclassement a une vocation humaine, elle est souvent mal perçue car elle ouvre le débat sur une multitude de questions. Les interrogations sur leur raison d'être et leurs objectifs sont nombreuses et proviennent autant des salariés que de l'encadrement.
On intègre fréquemment des psychologues dans ces équipes dont le but initial revendiqué est le souci de la détresse psychique. Ces derniers se retrouvent souvent mis en cause et se voient reprocher de participer à un processus incertain et douteux dont la finalité serait de « soulager la conscience » de la structure à l'origine des pertes d'emploi.
Il semblerait que cette attaque ne soit pas nécessairement fondée sur l'intégrité de ces professionnels mais sur la nature de leur contrat professionnel. En effet, leur présence au sein de ces cellules n'émane pas d'une demande des salariés mais justement de ceux qui, symboliquement tout au moins, sont à l'origine de leurs souffrances.
C'est à cette étape que la démarche psychologique n'est plus respectée. En effet l'importance de l'origine, de l'émetteur, de la formulation de la demande (salarié ou entreprise ?) n'est pas prise en considération et on entre dans une démarche quasi obligatoire. La démarche psychologique devient alors non pas libération des souffrances, mais colmatage organisationnel. Là où, dans l’histoire, la revendication collective aurait été particulièrement forte, notamment par la voie syndicale, le salarié est alors laissé à sa souffrance individuelle, traitée individuellement dans un processus qui laisse songeur.
Des interrogations se font alors sur la valeur de ces psychologues dont la présence exprimée par l'institution peut être perçue comme de l'instrumentalisation. Le psychologue n'est plus vécu comme un soutien mais craint en tant que membre temporaire de l'entreprise, bras d’une direction, estimée à l'origine de l'épreuve subie.
La démarche initiale qui avait pour but la prise en compte de la souffrance se retrouve complètement remise en cause.
La question de la demande individuelle n'est pas respectée. Ce passage obligé devient pour les salariés une contrainte. En voulant apporter, un soutien on place l'individu dans le doute, voire la suspicion.
Qui sont ces « Psychologues du Désespoir » ?
Des consultants recrutés pour des missions ponctuelles auxquels on demande dans le cadre de fermetures d'établissements :
De soutenir psychologiquement le salarié en souffrance.
D'accompagner des salariés fragilisés et de faire preuve d'empathie ; l'empathie étant la composante essentielle des entretiens qu'ils doivent conduire.
D'animer des cellules d'incitation au départ.
L'empathie à la demande, l'incitation au départ « sur contrat »… Cela contrevient à la liberté dans le choix des méthodes mais aussi et surtout à la neutralité, puisque l’entretien a une finalité autre que la prise en compte du psychisme d’autrui vers un mieux-être. Ces consultants ont eux aussi des enjeux financiers et se retrouvent à leur tour victime d'un système qui instrumentalise une précarité (ou un sentiment de précarité) ambiante.
Il semble que la demande formulée soit contraire à l'éthique professionnelle des psychologues et que ces derniers soient également pris dans la tourmente de l'incertitude économique. C’est ainsi que le conflit de loyauté, cet outil de l’injonction paradoxale, témoigne encore de l’importante perversion à l’œuvre dans les institutions d’aujourd’hui. L'individualisation des souffrances collectives semble parfois avoir pour intention de parer à des mouvements collectifs syndicaux.
Mon travail contre votre départ et mon empathie à la demande pour accompagner votre détresse.
Le professionnel est mis dans une position de désolidarisation sociale et devient à son tour objet d'une organisation qu'il ne maîtrise pas.
Comment un salarié peut-il construire un lien avec un psychologue qu’il ne voit que de façon transitoire, et qui est rémunéré pour lui faire accepter la situation qui occasionne sa souffrance?
La juste solution
Un humain est un sujet, pas le jouet d’une organisation. Ici, le psychologue comme le salarié peuvent devenir les jouets de l’organisation.
Le rôle d’un psychologue est d'analyser des situations, de considérer la souffrance psychique, de repérer des problèmes et d'aider à franchir des caps éprouvants vers une autonomie et en toute impartialité, mais en aucun cas d'utiliser la détresse dans un processus suggestif d’influence.
N'essayons pas de détourner nos psychologues de leur mission première, privilégions la prévoyance et la préparation des mutations.
La juste solution ne se trouverait-elle pas dans la reconsidération de l'humain ? Lorsque l'humain est utilisé à des fins économiques, il devient moyen donc objet. Rappelons que la vertu de l’économie est « l’art d’habiter sa maison », pas celui de la détruire. La destination première de l'humain est l'humanité et non une finalité financière. Au fil de cette mutation l'humain perd sens et repères.
Une restructuration, une fermeture d'établissement se qualifient comme un changement, et la démarche à instaurer est « Conduire le changement ». Les psychologues ont leur place dans cet accompagnement à condition qu'on les laisse agir avec leurs valeurs. Pour Sémiode, le changement est une proposition qui ne trouve de légitimité que par une espérance de « plus » ou de « mieux » sur un plan matériel et symbolique. Le salarié doit en attendre une valeur ajoutée.