24 juillet 2019
Au Dr Marie-Christine Martin, la première psy de qualité que je rencontrai adolescente, qui mit tout son amour et sa foi à me sauver de mes propres eaux troubles et à laquelle je dois beaucoup.
Lorsque mon père travaillait encore comme enseignant, il avait coutume de dire avec humour : « mes élèves, c’est le cadet de mes soucis », prenant ainsi la formule au sens propre, en ce que ses élèves étaient ce qui lui causait le moins de soucis dans sa vie. Non pas qu’ils ne lui importaient pas, bien au contraire, mais il n’avait pas de difficultés avec eux.
Et certes, j’ai pu rencontrer de ses anciens élèves me parlant encore de lui les yeux dans les étoiles, pour ce qu’il avait pu leur donner du goût d’apprendre.
Aujourd’hui, je voudrais dire ainsi : « mes patients, c’est le cadet de mes soucis », en désirant partager le bonheur que j’ai toujours éprouvé dans mon travail de psychologue, au sein des thérapies.
Bien sûr, j’ai pu commettre des erreurs, car je suis faillible comme tout être humain sur cette terre, et peut-être encore ne les ai-je pas toutes repérées, mais j’ai toujours œuvré avec foi, tendresse et amour pour mes patients.
Je viens de prononcer un gros mot : amour.
Si l’amour ne suffit pas pour aider les gens dans leur périple d’introspection, en revanche il est une condition absolument nécessaire, et je voudrais donc dire ici combien j’aime mes patients et le travail que nous accomplissons ensemble.
Quel est le but de la thérapie ? C’est bien que le patient puisse s’autonomiser en retrouvant ses ressources internes disponibles, en éloignant les monstres qui peuvent le dévorer, en acquérant davantage de lucidité sur son histoire, ses modes relationnels, ses répétitions schématiques.
Au départ, alors que je venais des lettres classiques et de la philosophie, j’ai voulu m’orienter en psychologie pour mieux comprendre l’être humain et sa folie. Venant moi-même d’une histoire familiale compliquée et difficile, ayant fréquenté toute une série de psys dès l’adolescence, certains meilleurs que d’autres, il m’apparaissait fondamental de comprendre comment se nouaient les nœuds dans le psychisme humain, et comment il pouvait être possible de les dénouer. La folie me semblait – et me semble toujours – une façon d’échapper à un réel vécu de façon douloureuse, à comprendre jusqu’aux limites de la souffrance humaine. Ayant été confrontée petite aux questions d’abus de pouvoir, dont on pourrait dire que c’est une question qui a traversé durant les siècles mes deux familles maternelle et paternelle, je ne cessais de vouloir comprendre.
J’ai d’abord, parmi toutes les consultations où voulait me mener ma mère lorsque j’étais adolescente, pour fuir d’abord sa propre souffrance et la projeter sur moi, fini par rencontrer une pédopsychiatre de grande qualité, qui me suivit durant dix années, et sans laquelle mon passage à l’âge adulte se serait fait sans doute avec beaucoup plus d’embûches, moins de compréhension, plus de désarroi et d’obscurité. Elle s’appelait Marie-Christine Martin, finit par déménager rue du Temple, près de République, et je dois dire qu’à certaines périodes qui furent parmi les plus souffrantes de mon existence, ce fut la seule, je dis bien la seule, à ne pas me laisser tomber, face aux jugements des bons bourgeois bien-pensants ne connaissant pas grand chose de la misère humaine, et encore moins de la misère psychique, disant que “ma psy s’impliquait trop”. Eh bien, elle m’a aussi servi de modèle pour la suite, et d’idéal professionnel car je sais que si elle m’avait laissée tomber, il n’est pas sûr que je me serais relevée, en tout cas, cela aurait été avec beaucoup plus de casse.
J’ai continué par la suite le travail sur moi, je crois que j’en suis environ 25 ans d’introspection jamais cessée, ce qui est nécessaire car je porte en moi, comme le disait Montaigne, “la forme entière de l’humaine condition”, et en me connaissant, je connais le monde et je découvre chaque jour davantage les secrets du psychisme humain. “Connais-toi toi-même” était la maxime du temple de Delphes, et Rome ne se faisant pas en un jour, c’est un parcours qui ne sera résolu que lorsque l’âme aura fini ses incarnations et sera retournée à la source. Je remercie donc également les deux autres psychanalystes m’ayant accompagnée longuement après le Dr Martin, et ayant eu suffisamment d’ouverture d’esprit pour accueillir mes fantaisies personnelles qui ne rentrent pas dans le cadre de ce qu’ils ont appris ni dans les chemins dogmatiques, et notamment mon goût prononcé pour le symbolisme et l’ésotérisme.
Puis j’ai commencé à écouter les gens, d’abord dans le cadre des stages qui ont jalonné les études, en psychiatrie notamment, puis en cabinet. Je serais incapable de dire combien de personnes j’ai suivi durant 15 ans, et de toute catégorie professionnelle, d’origines et de confessions multiples, d’âges variés. Au-delà de l’enrichissement humain que représentent évidemment de telles rencontres, chaque fois il me tient à cœur d’accueillir la souffrance qui n’a pas pu l’être ailleurs, sans jugement, avec tout l’amour dont je dispose, d’essayer de trouver par quels chemins nous allons pouvoir passer pour retrouver les trésors internes de la personne.
Bien sûr, parfois je suis fatiguée, parfois je préfèrerais me reposer ou écrire mes livres, mais chaque jour que viennent ces nouvelles consultations, je retrouve la motivation, l’entrain et le désir d’aider les personnes à traverser leur labyrinthe et leurs méandres.
Mon père, qui comparait souvent notre famille aux Atrides, avait aussi pour coutume de dire qu’il m’avait donné ce prénom Ariane, pour que je le sorte de son labyrinthe.
Et il est vrai que je suis née un 30 décembre 1978, soit 7 ans après jour pour jour exactement de son enfermement arbitraire en clinique psychiatrique où il subit la cure de Sakel (endormissements forcés à l’insuline, créant des dommages biologiques irréversibles), le 30 décembre 1971.
Les connaisseurs en numérologie apprécieront le chiffre 7 de ces 7 années. Et il est vrai aussi que j’ai souffert petite de l’absence psychique de mon père qui le dit lui-même dans le récit de son épreuve de jeunesse (La Paresse et la Gloire) :
“Mais surtout je voulais m’excuser auprès de tous ceux qui m’ont connu et fréquenté, de n’avoir pas été durant ces décennies plus présent, plus chaleureux, plus aimant, plus actif. D’avoir vécu replié sur moi-même - et il faut prendre cette expression quasiment au sens propre. De n’avoir rien fait pour combattre le malheur du monde.”
Bien sûr ce ne fut pas ma seule motivation à devenir psy, les souffrances familiales, et celle de ma mère également, contribuèrent à cette motivation. Je me suis toujours sentie petite dans la peau de « l’enfant savant », celui qui voit, qui analyse, qui étudie, ce « psy de la famille » dont parle Ferenczi.
Depuis quelques années, aucun de mes nouveaux patients ne vient par hasard. Mes patients viennent parce qu’ils ont lu mes travaux, et/ou écouté mes interventions sur internet. Ils viennent parce qu’ils m’ont réellement choisie pour les aider à résoudre leur problématique, et ceci évite en effet les quiproquos de départ. Ce que je suis, ce que j’étudie, et ce que je deviens chaque jour en m’améliorant dans la compréhension non compartimentée du psychisme humain leur parle. Et ainsi, nous nous entendons d’emblée.
Le psychisme est effectivement un labyrinthe, et Ariane est supposée, non pas en connaître les ramifications, mais pouvoir donner le fil qui aide à en sortir. C’est ce que j’essaie de faire chaque jour. Je suis également émerveillée par les histoires de vie humaine, malgré les embûches rencontrées, de comment les personnes trouvent malgré tout en elles les ressources pour survivre et s’en sortir.
Alors, je donne le fil, ou plutôt la main, pour aller voir le monstre dans les méandres du labyrinthe. Parfois des personnes ignorantes peuvent me dire : « mais comment fais-tu pour être psy ? ça doit être horrible d’écouter les malheurs des gens toute la journée. » Eh bien, précisément : bien sûr que certains chemins de vie sont chaotiques, extrêmement souffrants, mais moi, ce que j’écoute, c’est la capacité de la personne à s’en être sortie malgré tout ce qu’elle en pense et croit, à s’accrocher à la vie, à chercher la lumière, et bien sûr que je vais l’aider de tout mon être à affronter ses angoisses, ses monstres, ses terreurs et à se renforcer pour retrouver le goût et la joie de vivre. Ce que j’écoute, c’est l’espoir. Ce que j’écoute, c’est l’endroit où l’âme crie famine, et a besoin de nourriture. Ce que j’écoute c’est la parole qui n’est pas encore parvenue à se dire ni à sortir. Ce que j’écoute c’est le mystère caché derrière le silence. Ce que j’écoute c’est la vibration interne, la couleur propre à chaque personne. Car il n’y a pas une thérapie qui se ressemble, et c’est aussi la puissance de ce métier. Il est impossible de se lasser si l’on aime la nature humaine, et je crois que c’est mon cas.
Parfois, des patients me recontactent des années après, et je dois le dire : je suis fière du chemin que nous avons parcouru, et je suis fière de ce qu’ils sont devenus. Je suis fière aussi du lien qui se maintient, de ma mémoire qui se rappelle qui ils étaient, ce qu’ils m’ont dit, quelle était la vibration propre de leur âme.
Souvent, il m’arrive d’imaginer mon patient dans sa plus haute expression. Qu’est-ce qu’il/elle serait si se libérait la meilleure expression de lui-même, et je vois des talents cachés, qui ne sont pas encore aboutis, une expansion de leur être et un autre possible s’ouvre aussi, teinté d’espérance. Une fois la consultation terminée, elle n’est pas finie pour moi. Je pense effectivement à mes patients tous les jours, je passe en revue les épreuves qu’ils traversent, j’ai la foi qu’ils vont chacun traverser leur désert personnel, je leur adresse de belles pensées, et en ce sens moi aussi, je travaille entre les séances.
Dans ce lieu où l’intime reprend sa place, il est possible de tout dire, de pleurer, d’enrager, et même de tout envisager, pour retrouver son chemin propre, nettoyer ses tiroirs et n’en garder que ce que l’on souhaite garder pour la suite du voyage.
Certaines personnes demandent combien de temps cela va durer. Eh bien c’est un voyage dont vous seuls avez le secret, voulez-vous voyager un tout petit peu jusqu’à l’autre rive, bien plus loin dans l’océan de l’inconscient afin d’y affronter vos propres tempêtes, quels que soit votre désir et vos décisions, je vous suis. Mais je vous rappelle néanmoins que ce qui est facile, sans régularité et sans effort manque nécessairement de profondeur et de durabilité, cette loi est universelle, et pas propre au psychisme. Ceux qui vous vendent autre chose vendent du miracle et sont des charlatans.
Le rire fait partie intégrante de nos moments, il est important aussi de pouvoir se distancer de l’horreur par le rire, je passe réellement de si beaux moments avec vous mes patients, que je voudrais aujourd’hui vous remercier pour toute la confiance que vous me donnez, pour tous les enseignements que j’ai appris à travers vous, pour toute l’humanité que nous portons ensemble, pour l’ouverture de conscience partagée, et la lumière qui s’en diffuse.
Alors, en un mot : merci pour le bonheur que vous m’avez donné durant toutes ces années, et me donnez encore.
Ariane Bilheran, le 24 juillet 2019.