Extraits de l'entretien d'Ariane Bilheran par Héloïse Junier pour la revue Sciences Humaines.
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"Ils nous dérangent, nous dégoûtent, nous terrifient. Mais qui sont-ils vraiment? Le pédophile, largement connoté, est porteur d’une triste mémoire collective. Si une minorité d’entre eux nous est connue pour ses actes effroyables et largement médiatisés, une majorité, dont on parle moins, se fait plus discrète. Immersion dans l’univers de la pédophilie, tabou majeur de l’humanité…
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Considérés tantôt comme des criminels, tantôt comme des malades, tantôt comme des individus cultivant une orientation sexuelle marginale, les pédophiles ne manquent pas de déstabiliser. Le terme de pédophile recouvre une telle pluralité de profils différents, qu’il est difficile de s’y retrouver: «certaines personnes ont des tendances pédophiles sans passer pour autant à l’acte, d’autres sont pédophiles en dehors de la famille, d’autres encore sont uniquement incestueux sans passer à l’acte sur des enfants hors du système familial. D’autres encore sont violeurs, mais non pédophiles» nous précise Ariane Bilheran, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, consultante, formatrice, co-auteur avec Amandine Lafargue de Psychopathologie de la pédophilie (Armand Colin, 2013). L’acte pédophile lui-même désigne une diversité d’abus sexuels allant de l’exhibitionnisme à la sodomie, en passant par le détournement de mineurs, tel que faire visualiser des images à caractère pornographique aux enfants, la pénétration, les caresses, les pratiques sexuelles buccales…
Le point commun de toutes ces agressions?
«Le déni d’enfance, avec une confusion grave entre le désir génital de l’adulte et la tendresse érotisée de l’enfant. La pédophilie est une négation des générations: c’est faire comme si l’enfant désirait la même chose que l’adulte» souligne Ariane Bilheran.
Que se passe-t-il dans la tête de l’enfant lors de l’abus sexuel?
À la question, comment devient-on pédophile, Ariane Bilheran émet l’hypothèse du processus complexe de la répétition traumatique: «le pédophile aurait lui-même subi des actes pédophiles, en tant que victime et/ou témoin, même s’il n’y a pas de souvenir immédiat. Dans la pédophilie, il s’agit de remettre en scène et en acte, en tant que bourreau adulte, ce que l’on a pu subir en tant que victime et/ou témoin, enfant».
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Quand l’ancienne victime enfant, devient bourreau adulte…
Venons-en à présent aux violences sexuelles engendrées par le pédophile, ancienne victime. Comment expliquer un passage à l’acte? Un passage de la position de victime traumatisée à celle de pédophile? Muriel Salmona nous explique: «Vivre avec une mémoire traumatique est une torture, car la personne revit sans cesse les traumas. Alors, sont mises en place des stratégies de survie, tel que l’évitement et le contrôle, auquel cas la victime ne fait plus rien, elle ne sort plus de chez elle, elle ne pense plus. Puis, une fois qu’elle recommence à vouloir avancer, la victime va chercher une «disjonction» pour atteindre l’état d’anesthésie qu’elle connut lors de la scène traumatique. Pour y parvenir, elle peut multiplier les conduites «dissociantes»: consommer des drogues dures, de l’alcool, des psychotropes à haute dose, mais aussi des conduites à risque comme le fait de se taper la tête contre un mur, de s’automutiler, voire, de violenter une personne, de l’abuser sexuellement».
Muriel Salmona complète: «À l’heure actuelle, aucune autre hypothèse ne nous permet d’expliquer, avec des mécanismes cohérents, la pédophilie». À considérer les pédocriminels comme des victimes, ne risque-t-on pas, d’une certaine manière, de les «excuser» pour leurs actes, de les dédouaner?
«Absolument pas! Car les pédophiles ont tout de même fait le choix de passer à l’acte, ce qui n’est pas le cas de la grande majorité» souligne Muriel Salmona.
«Être victime en tant qu’enfant n’excuse pas le coupable adulte! Par contre, cela pose également la question de la responsabilité de la société» complète Ariane Bilheran.
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Comment la société traite-t-elle les pédophiles ?
Si bon nombre de sociétés privilégient actuellement la répression judiciaire à la prise en charge thérapeutique, l’efficacité laisse à désirer. «Il est nécessaire de repérer les victimes le plus tôt possible. Plus on laisse un pédo-criminel agir, moins il aura envie de sortir de cette anesthésie émotionnelle qui, au quotidien, est pratique. Dans tous les cas, il est important que la loi intervienne: on leur dit qu’il n’a pas le droit de faire ça, tout comme son agresseur n’avait pas le droit de lui faire subir ce qu’il lui a fait subir. Malheureusement, la société est dans le déni et intervient trop tard…» regrette Muriel Salmona. Il est certain que l’idée même de venir en aide à des pédophiles, qui sont par ailleurs responsables de causer des souffrances irréversibles chez les enfants, est pour beaucoup d’entre nous un non-sens.
«C’est un sujet qui déclenche des passions morales. Mais voit-on les choses de la même manière si l’on part du principe que le pédophile serait un ancien enfant abusé, et que lui-même continue de revivre cet abus en le perpétrant sur d’autres enfants?», interroge Ariane Bilheran.
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La prise en charge thérapeutique ne sera jamais unanimement efficace, et nécessitera toujours en parallèle un traitement judiciaire, porteur de la Loi: «le pédophile regroupe tant de profils différents qu’on ne peut pas avoir une réponse uniforme et univoque» souligne Ariane Bilheran.
Ils banalisent la pédophilie… jusqu’à quel point?
Proposer une prise en charge thérapeutique des pédophiles pour mieux protéger les enfants, est une chose. Banaliser la pédophile, en est une autre. En effet, d’autres organismes et pseudo-experts vont plus loin. Trop loin. Sous prétexte qu’il n’est pas légitime de discriminer une personne en fonction de son orientation sexuelle, le Québec a impulsé une action interministérielle luttant contre l’hétérosexisme, à savoir l’affirmation que l’hétérosexualité serait une norme sociale, supérieure aux autres orientations sexuelles. Ainsi, face au Comité de la justice et des droits de la personne, Vernon Quinsey, professeur émérite de psychologie de l’Université Queen’s, et Hubert Van Gijseghem, professeur de l’Université de Montréal, ont déclaré que la pédophilie n’était qu’une simple orientation sexuelle, au même titre que l’hétérosexualité et l’homosexualité[11]. Dans cette même dynamique, aux États-Unis, certains pédophiles réclament les mêmes droits que la communauté gay.
Ariane Bilheran s’insurge:
«C’est une conduite perverse! Ces pédophiles estiment avoir le consentement de l’enfant. Car, par définition l’enfant est celui qui ne parle pas, et l’adage «qui ne dit mot, consent» est bien connu. Surtout l’enfant traumatisé par la transgression adulte: il se tait! Or, il ne pourra jamais y avoir de consentement puisque l’enfant n’a pas fini son développement physique et psychologique. Je trouve d’ailleurs cette revendication particulièrement insultante pour les homosexuels!».
Milton Diamond, directeur du Centre Pacifique pour Sexe et Société et professeur à l’université d’Hawaï, aurait quant à lui suggéré que la production de pornographie infantile était bénéfique à la société, dans le sens où celle-ci se substituait, pour les pédophiles, à des relations sexuelles réelles avec des enfants.
Une fois de plus, Ariane Bilheran réagit:
«C’est-à-dire, en somme, qu’on agirait contre la pédophilie en promouvant la pornographie infantile, c’est-à-dire la pédophilie et sa commercialisation… Quel raisonnement pervers! Au contraire, la visualisation d’images encourage les passages à l’acte. Visualiser des meurtres en série à la télévision développe des pulsions meurtrières et il en est de même des circuits psychiques concernant la pédophilie. On nage en pleine perversion.»
Autant dire que la question de la pédophilie continuera à faire l’objet d’échanges houleux sur le plan de sa considération et de sa prise en charge ces prochaines années. Espérons que le respect de l’enfant demeurera la pierre angulaire de ces débats."
Ariane Bilheran et Amandine Lafargue (Armand Colin, 2013). Psychopathologie de la pédophilie: identifier, prévenir, prendre en charge.
Muriel Salmona (Dunod, 2013). Le livre noir des violences sexuelles et le site.