Extraits de l'entretien d'Ariane Bilheran par Héloïse Junier pour la revue "Ça m'intéresse".
Lire l'article en entier sur le site d'Héloïse Junier.
"Bien que chacun de nous ait l’illusion d’en être préservé, notre tendance au conformisme fait l’unanimité dans le milieu de la recherche, pour le meilleur comme pour le pire. Car si celui-ci est responsable de cultiver la pensée dominante, il assure notre survie en société.
Qu’est-ce donc que le conformisme? Une forme puissante d’influence sociale selon les psychologues sociaux. Par définition, est conformiste la personne qui modifie son attitude, son opinion ou son comportement pour l’harmoniser avec ceux du groupe dont elle fait partie ou dont elle souhaiterait faire partie, telle une bande d’amis, de collègues ou à plus grande échelle, la société. Pourquoi? Par simple crainte de se démarquer ou d’en être rejetée.
L’usage du qualificatif «conformiste» est souvent péjoratif, évoquant une société moutonnière dénuée d’esprit critique.
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«Nous ne sommes plus dans une société individualiste. Nous nageons dans une masse indistincte où les individus ont précisément disparus» analyse Ariane Bilheran, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie et auteur de Manipulation: la repérer, s’en protéger (Armand Colin, 2013) et Tous des harcelés? (Armand Colin, 2010).
Les non conformistes peuvent-ils alors exister?
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«Ne pas être conformiste c’est aussi avoir le courage d’être «seul contre tous», de se distinguer de la masse et donc de prendre le risque de se séparer du groupe, de se confronter à l’angoisse de l’abandon, de la solitude, et de la mort», analyse Ariane Bilheran.
Si le conformisme est impopulaire, c’est qu’il ne nous est pas toujours bénéfique: il crée des courants de pensées dominantes qui gèlent nos pensées et valeurs individuelles. Les médias ont leur part de responsabilité.
«La diffusion de propos angoissants suscitant des peurs archaïques et la sélection de scoops et d’informations identiques, inhibent largement l’esprit critique» analyse Ariane Bilheran.
Une tendance à l’uniformisation de l’information confirmée par Henri Maler, philosophe, maître de conférences en science politique, fondateur et animateur de l’Acrimed (Action Critique Médias): «La pluralité des titres de presse, des stations de radio, des chaînes de télévision n’implique pas mécaniquement la diversité des contenus. Bien au contraire : la confusion entre pluralité et diversité permet de maintenir l’illusion du pluralisme quand celui-ci ne cesse de se restreindre. La plupart des médias pratiquent une programmation fédérative qui s’efforce, non de satisfaire des besoins et aspirations différenciés, mais d’agglomérer des consommateurs».
«L’information est de plus présentée comme une vérité, un leurre car le réel est toujours plus complexe» complète Ariane Bilheran.
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«Notre société de démesure fabrique de jour en jour, non plus une démocratie, mais une ochlocratie, un gouvernement par la foule, très dangereux selon Aristote, dans lequel la masse ne réfléchit plus et devient consommatrice/ consommée» regrette Ariane Bilheran.
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«Certains individus sont particulièrement rassurés par la pensée dominante qui leur évite de se confronter à leur propre angoisse existentielle, une forme de soumission qui les protège du sentiment de solitude» analyse Ariane Bilheran.
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«Il est nécessaire de rompre avec la source de l’abrutissement médiatique et publicitaire ou de ne pas y être trop exposé. Il est également impératif de s’isoler, de se créer des espaces intimes, de se cultiver, de voyager, de lire des ouvrages d’autres siècles. Car seule l’ouverture à la différence permet de développer l’esprit critique et accéder à d’autres champs de conscience» complète Ariane Bilheran.