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Tout sur le harcèlement !!!

Article de Diane des Dépêches Citoyennes, au sujet de mes travaux sur le harcèlement.


"Mon premier livre sur le harcèlement fut Le Harcèlement moral chez Armand Colin qui parut en 2006. À l'époque, le harcèlement se résumait souvent en un processus binaire entre le méchant harceleur et le gentil harcelé. J'ai écrit ce livre en réaction à cette hypothèse, qui me paraissait erronée, afin d'analyser en quoi le groupe était l'élément-clé autour de cette relation harceleur-harcelé.
À partir de 2005, date de rédaction de ce premier livre, je n'ai cessé mes investigations théoriques, toujours aux prises avec l'expérience clinique (auprès des patients, des institutions, des entreprises et dans mes expertises judiciaires), quant aux mécanismes qui permettent d'obtenir la soumission collective. J'en ai issu rapidement plusieurs concepts-clés ("contagion délirante", "groupe régressé", "intégrité collective", "résistance vulnérable", "régression psychique", "îlot totalitaire", "noyau totalitaire", "fabrique des harceleurs", "capture perverse", "démocratie totalitaire", etc.), que j'ai depuis sans cesse mis à l'épreuve, et qui m'ont conduite à envisager le harcèlement comme la méthode du système totalitaire et le chef d'oeuvre de la psychose paranoïaque.
Cet article retrace donc le produit de vingt ans de recherches et d'investigations, actuellement condensé et compilé en deux tomes, que Diane des Dépêches Citoyennes m'a fait l'honneur d'approfondir de manière magistrale et auxquelles elle rend hommage ici, en en expliquant les raisons."

Dr Ariane Bilheran



Le harcèlement?


Dans l’acception générale, on entend par harcèlement le fait d’être «poursuivi» par une personne en vue d’obtenir quelque chose de nous. Nous connaissons tous ce que nous appelons le harcèlement téléphonique avec ces démarchages commerciaux incessants. Nous nous souvenons de ces films, Harcèlement ou Liaison Fatale dans lesquels on découvre le harcèlement sexuel et comment il fait un enfer de la vie de la victime qui peine à démontrer les agissements de la harceleuse. Il y a quelques années, l’entreprise Orange a connu une vague de suicides et a été attaquée par plusieurs victimes pour harcèlement moral. Aujourd’hui, nous entendons parler du harcèlement à l’école et sur les réseaux sociaux, l’État dit mettre en place des mesures pour enrayer le phénomène.


Cependant, plusieurs affaires ont défrayé la chronique en dénonçant le non-agir des responsables d’établissements scolaires concernant le harcèlement d’élèves mais aussi de professeurs. On peut lire çà et là qu’un enfant par classe en serait victime et, bien que cela soit moins médiatisé, nombreux sont les fonctionnaires ou salariés dans le privé à dénoncer les méthodes harceleuses au sein de l’Éducation nationale et de la politique managériale de certaines entreprises.


J’ai donc souhaité plonger au cœur du sujet et ai choisi de lire cet ouvrage de référence en deux tomes écrit par Ariane Bilheran. Elle est normalienne, philosophe, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, auteur, conférencière et experte des pathologies du pouvoir. Elle a écrit plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le sujet du harcèlement sur lequel elle travaille depuis de nombreuses années. Son expertise s’appuie sur son expérience auprès de victimes, ses consultations au sein des entreprises mais aussi dans le domaine des institutions de la protection de l’enfance et du milieu judiciaire.

Ces deux tomes correspondent à une étude très approfondie de ce processus qu’est le harcèlement. Ariane Bilheran a l’indéniable talent d’exposer clairement des notions complexes; ce qui permet à chacun d’accéder au savoir. Elle n’en est pas moins exigeante et précise de sorte que ces livres intéresseront tout autant les professionnels de la santé mentale, que les responsables de ressources humaines, que les victimes, les parents ou quiconque voudra explorer cette facette de l’âme humaine.


Comme vous le comprendrez très vite en lisant cet ouvrage, le harcèlement nous concerne absolument tous, et nous en avons tous été victimes! Non, non je n’exagère pas, car ce processus a été employé lors de la plandémie Covid et nous avons TOUS été touchés. Mais ce qui est primordial, pour ne pas dire vital, est de comprendre que si nous sommes tous victimes, un très grand nombre d’entre nous en a été, en est ou en sera complice. Oh là, là, non, pas moi, me direz-vous? Eh bien si, car «si le harcèlement est souvent pensé comme un processus d’attaque d’un individu sur un autre, il ne se résume pas au duel bourreau et victime», mais c’est bien le groupe qui «rend» possible le harcèlement. Ceux qui, dans un groupe, ne souhaitent pas intervenir et pensent pouvoir s’exclure en pratique et en responsabilité comprendront que «'neutre'» signifie alors complice».


Le titre est justement choisi, cet ouvrage expose bien toutes les formes de harcèlement, moral, sexuel, physique dans tous les milieux, familial, professionnel, institutionnel et scolaire. Il l’analyse socialement, psychologiquement, psychanalytiquement,  juridiquement et politiquement. Il permet donc d’explorer l’âme humaine, de se prémunir contre un harcèlement que l’on est tous à même de subir mais surtout contre son installation dans la durée par déni ou non compréhension de la situation. Car c’est bien le fait que le harcèlement perdure qui aggrave considérablement le traumatisme.


Ariane Bilheran vous permet de repérer rapidement un processus de harcèlement sur soi-même ou sur un proche, ami, collègue, enfant et apporte les clefs pour en sortir ou ne pas s’en rendre complice.


Cet ouvrage devrait être lu par tous et notamment les directeurs de ressources humaines, les responsables d’équipe, les enseignants, etc. car c’est aujourd'hui une question de santé publique.



Tout sur le harcèlement!


Dans le tome I, Ariane Bilheran commence par le début, c’est-à-dire la définition. Revenir à la racine du mot, son étymologie est toujours source de meilleure compréhension. Ainsi harceler vient de «harseler/herseler » en ancien français, utilisé en terme agricole ou militaire et qui signifie «couper tout ce qui dépasse, mettre eu même niveau en soumettant à des assauts réitérés». Le harcèlement est une tentative d’emprise sur autrui dans un rapport de domination et se soumission, pour «soumettre ou démettre», c’est une tentative de meurtre psychique; son essence même est de détruire. Chaque mot de la définition qu’Ariane Bilheran a posée dans son premier livre Le Harcèlement moral en 2006 a son importance, elle soulignait déjà le phénomène de groupe.


«Le harcèlement vise la destruction progressive d’un individu ou d’un groupe par un autre individu ou un groupe, au moyen de pressions réitérées destinées à obtenir de force de l’individu quelque chose contre son gré et, ce faisant, à susciter et entretenir chez l’individu un état de terreur.» (p. 35).

Elle reprend l’histoire et la mort de Socrate pour nous attester que ce phénomène ne date pas d’hier et attire notre attention sur son processus qui correspond à une «violence groupale archaïque», une stratégie de domination que les sociétés totalitaires apprécient tout particulièrement. Mais aussi qu’il répond à la survie d’un groupe dont le lien social se délite. Son regard tant psychanalytique qu’anthropologique l’amène à scruter ces notions inconscientes de pulsion de vie et de mort dans une société. Elle pose l’équilibre fragile de la communauté qui devra maîtriser ses pulsions pour être viable, et veiller à ce que la pulsion de vie collective unissent les citoyens. Elle souligne que «la culture augmente les possibilités de manifestation de la violence en même temps qu’elle les limite.» Le Droit est un écran protecteur contre la violence mais lorsque qu’une société est trop judiciarisée, il incarne alors lui-même la violence.


Après quelques pages, le lecteur comprend que le phénomène est complexe, ancien et dépend d’équilibres fragiles. Rapidement, René Girard et «la rivalité mimétique» est citée, et avec elle la notion plus connue de bouc émissaire.

«La recrudescence du harcèlement dans notre société moderne est l’expression d’une recherche collective de bouc émissaire…[…] Le bouc émissaire institutionnalisé et sacralisé qui a pour vertu de réconcilier les humains entre eux.» (p. 88).

Et ce qui s’impose immédiatement et vient modifier l’acception générale, c’est que le harcèlement est un phénomène de groupe et ne se limite donc pas à un bourreau et une victime.

«Le paradoxe actuel de notre société est que plus elle se réclame de la démocratie, plus on assiste à des résurgences totalitaires, dans une perversion du langage. Pensée unique et violence sacrificielle sont omniprésentes […] le phénomène est à ce point étrange qu’il s’empare des individus à leur insu.» (p. 122).

Ariane Bilheran décrit les processus à l’œuvre dans le harcèlement. La projection de ses propres intentions et émotions sur l’autre pour éviter d’affronter «son miroir», les différents types d’agressions (intrusion dans l’intimité, exclusion, isolement...), les stratégies variées (séduction, terreur, division, conflit de loyauté) visant l’annihilation de la victime persécutée. Mais aussi et c’est plus difficilement compréhensible, le phénomène mortifère d’introjection, c’est la victime qui intériorise la violence, la retourne contre elle-même et assume à la place de l’agresseur les sentiments de honte et de culpabilité. Le but recherché est la mort psychique, voire la mort physique en amenant la victime à se suicider!


Tout cela est déjà très violent mais lorsque qu’Ariane Bilheran explique qu’un tel harcèlement se réalise en groupe, on ne peut qu’être saisi d’effroi.


«Pour que du harcèlement survienne , le groupe doit être, pour tout ou partie, déjà aliéné. Cette aliénation est groupale, sur un mode symbiotique : plus personne n’est responsable, donc plus personne n’assume une quelconque culpabilité de ce qui se passe. C’est devenu 'normal' et les personnes du groupe ne savent plus distinguer le respect de l’irrespect, le sain du pathologique, la norme de l’exception. […] L’accord explicite ou implicite du groupe est nécessaire. […] la mort psychique devient un but en soi: détruire, ou pire, conduire à l’autodestruction (suicide). […] Celui qui souhaite conserver sa subjectivité, son libre arbitre devient rapidement la cible, l’opposant.»  (pp. 143-144).

Elle décrit ensuite toutes les stratégies de défense des victimes et les impacts sur leur psychisme. Il est difficile d’imaginer la terreur et l’obsession ressentie par une victime si l’on n'en a pas été une soi-même. Ariane Bilheran parvient à travers ces descriptions détaillées et les récits de plusieurs victimes tout au long de son ouvrage, à faire prendre conscience voire à faire ressentir au lecteur cet état de terreur et de destruction psychique. N’avons-nous jamais entendu «Oh, je ne comprends pas, pourquoi elle ne le quitte pas?». Après avoir lu ces récits et ces explications, le lecteur aura compris mais, et c’est ce qui semble bien plus important, il ne «participera plus» à ce harcèlement en acculant voire même en accusant la personne harcelée.


«Une personne harcelée a plutôt tendance à vivre dans l’inquiétude permanente et à être agressive. […] si elle est agressive c’est parce qu’elle l’a toujours été. […] si elle est harcelée c’est qu’elle a dû faire quelque chose de répréhensible… […] elle est alors accusée de ce qu’elle subit.» (p. 159).

Il arrive souvent que le harceleur cherche à inverser les rôles, il se fait passer pour le harcelé. Un professionnel saura alors déceler la supercherie en ce que le harcelé a des symptômes caractéristiques d’épuisement psychique et physique.


Le harcèlement touche chacun dans tous les milieux, familial, social, institutionnel, conjugal, professionnel. Alice Miller a appelé la «pédagogie noire», ce principe d’éducation qui vise à dresser et pour ce faire emploie les techniques de harcèlement. Principe qui malheureusement se transmet de génération en génération.


La harcèlement peut s’installer insidieusement dans un couple ou y survenir notamment lorsque le couple requiert un engagement. Elle alerte sur le danger de l’idéalisation du couple et qui consiste à vouloir croire que la personne va changer, à céder à un harcèlement sexuel en se disant que cela se calmera.


«Dans un couple où perdure un harcèlement, il convient de s’interroger sur les phénomènes de répétition traumatique. […] un processus d’adhésion inconsciente à l’autre, dans une problématique psychique commune.»  (p. 199).

«Les harceleurs de vocation ont des profils pathologiques avérés […] les harceleurs de fortune sont des personnes qui, pour un temps et en raison de circonstances fragilisant l’existence, mettent en place des processus harceleurs. […] vulnérabilité narcissique (mauvaise image de soi, besoin d’être aimé et admiré) […] un grand état de stress, doublé d’un sentiment de menace (persécution ou abandon). Le harcèlement est un recours défensif pour garder le contrôle des sentiments de l’autre à son égard, lutter contre l’angoisse de mort et sauvegarder le sentiment d’exister, même dans le regard terrorisé de l’autre.» (p. 201).

Ariane Bilheran explique la notion de «thanatophore» qui, dans une institution, va œuvrer à sa destruction, jouir des souffrances psychiques qu’il inflige et de la sidération qu’il génère dans le groupe.


«Il détruit le cadre, attaque l’idéal et impose l’idéologie […] il se présente comme sauveur du groupe derrière l’assurance qu’il dégage.»  (p. 218-219).

Une institution est comme une société, lorsqu’il y a perte de sens ou désaccord profond, elle devient malade et se fait le terreau du harcèlement. On le voit depuis de nombreuses années au sein de l’Éducation nationale mais aussi dans «l’hôpital»:


« L’institution devient malade lorsqu’elle est en proie à un profond désaccord de sens. […] Le sens de l’hôpital est de produire du don (mission sociale et anthropologique). Lorsque les pratiques […] se transforment en logique lucrative et productiviste, cela induit chez les soignants une perte de sens massive et prépare le terrain à différentes formes de harcèlements […] l’institution est en distorsion, donc en souffrance. » (p. 220-221).

«L’idéologie régnante est celle du profit à tout prix, à tel point qu’elle ne fait même plus l’objet de remise en question, y compris parfois chez ceux qui défendent la posture des droits de l’homme. C’est une idéologie, car elle s’impose notamment comme inéluctable, fatale. D’ailleurs, la logique de ce que l’être humain coûte par rapport à ce qu’il rapporte est une idéologie déjà véhiculée par certains totalitarismes de masse (voir le nazisme, qui condamnait les « improductifs»).  (p. 250).

L’État n’est pas en reste en ce qu’il vise une seule partie de la population pour en faire un bouc émissaire (une minorité: non-vaccinés, juifs...) « sur lequel rejaillira la folie ou la lâcheté collective. Ce qui est terrifiant, alors, c’est l’étendue du groupe de complices du harcèlement actifs ou passifs.».


Ariane Bilheran nous rappelle ici encore et en écho à son ouvrage sur la Psychopathologie de la paranoïa, que la paranoïa est la pathologie des systèmes totalitaires.



Tout sur le harcèlement!


Dans le tome II, Ariane Bilheran entre plus en détails dans la typologie du harcelé. Il est une personne qui résiste à l’influence collective, possède compétence, aura et autonomie… des qualités enviées dont le harceleur veut s’emparer. En somme, le harcelé par sa seule existence révèle au harceleur ce dont il est dépourvu. Certaines jalousies s’expriment presque ouvertement mais le harceleur possède une caractéristique: la lâcheté. En effet, il agresse l’air de rien et quand le harcelé réagit à la souffrance infligée, il le traitera alors d’hystérique ou de fou. Un tel évènement doit alerter et éviter tout jugement hâtif concernant celui qui rentre dans une colère. Traiterait-on quelqu’un d’hystérique s’il hurlait sous la torture? C’est pourtant un parallèle que fait Ariane Bilheran avec le harcèlement.


«La torture est un harcèlement physique. […] Les similitudes psychologiques entre le harcèlement et la torture physique partent d’analyses déjà faites sur « l’efficacité » de la destruction psychologique par la torture physique. […] Par cet extrême du harcèlement, nous pouvons mieux comprendre ce qui se joue dans le harcèlement, la torture mentale qui vise les mêmes objectifs de destruction psychique que la torture physique. […] Le but recherché est le même.» (p. 27-28).

Le harceleur a pour but la destruction psychique de la personne qu’il harcèle, ses attaques répétées visent à traumatiser, sidérer, interdire de penser, dévaloriser, humilier et amener à la mort. Que le harcèlement soit moral, physique ou sexuel, les traumatismes répétés engendrent des symptômes traumatiques et post-traumatiques sont identiques à ceux infligés par de la torture ou un choc violent.


Le harcelé n’est plus en sécurité, il est rejeté du groupe, perd son sentiment d’autonomie, du sens des choses, la confiance en l’humanité. Il vit dans la terreur comme une bête traquée, «terreur qui n’est invisible qu’à celui qui la dénie». L’agresseur est omnipotent, le groupe agit en toute impunité, le harcelé se sent à leur merci. La destruction qu’il subit est psychoaffective et psychosomatique, par des traumatismes répétés. L’introjection de la honte et de la culpabilité vont l’amener à se persuader qu’il a fait quelque chose de mal. Le harcelé est littéralement brisé.


Ariane Bilheran détaille et donne maints exemples de ces états de sidération, désespoir, pertes de repères, stress permanent, sentiment constant de terreur, angoisses qui conduisent à l’altération de la personnalité et mène parfois à des conduites addictives dangereuses mais également une perte de confiance en l’humain puisque les membres du groupe, actifs ou passifs, s’allient à ce harcèlement.


Le sujet des enfants est profondément touchant et cette notion de culpabilité primaire qui veut que l’enfant s’attribue la responsabilité des maltraitances est douloureux. Elle attire notamment notre attention sur ce que sont les institutions en charge de l’enfance ou la justice et qui sont traversées par ces logiques de pouvoir, qui rendent leur fonctionnement violent sans qu’ils ne parviennent à se remettre en question. Elle cite Caroline Eliacheff qui parle des institutions conduites «à se vouloir pompiers et à être pyromanes» (p. 113).


Un harceleur qui n’est pas obligatoirement un pervers narcissique, vit lui-même dans l’angoisse, un sentiment de danger et de persécution, ce qui lui fait vivre une intense souffrance et conditionne sa relation à autrui. Cette psychose le prive de toute empathie, compassion ou sentiment de culpabilité: «il fait sien le fameux dicton: 'La fin justifie les moyens' et prend pour moyen ce qui précisément n’en est pas un (un individu donc un sujet et pas un moyen).» (p. 134). Le harcèlement moral est lié à la perversion et le processus de harcèlement sera d’autant plus «invisible et froid» que le harceleur est paranoïaque ou pervers.


«Il est obsédé par la victime qui deviendra, elle aussi, obsédée par la pensée de son harceleur.» (p. 140).

Son psychisme revêt une composante perverse sadique en ce qu’il jouit du mal qu’il fait.


Tout au long de son ouvrage, Ariane Bilheran nous ramène à la responsabilité du groupe qui est toujours impliqué. Elle décrit les rôles adoptés, la défaillance de l’autorité, le rejet de la violence engendrée par le danger subit par le groupe qui justifie le sacrifice et donc le choix du bouc émissaire:

«il est trop facile d’amalgamer le harceleur à un 'monstre'. […] c’est oublier qu’il est cautionné par le groupe et correspond pour tout ou partie à ses aspirations.» (p. 187).

«Tous ceux qui sont complices actifs ou passifs du délire paranoïaque […] par la voie de projections justifieront de maltraiter le harcelé et ceux qui le soutiennent. […] le harcelé et ceux qui le soutiennent peuvent alors être en proie à une somatisation très importante […] il est illustré par toutes les résistances aux totalitarismes: celui qui conserve l’esprit pur paiera dans son corps.» (p. 170).

Très prudemment, elle va analyser la participation active du harceleur et du harcelé à ce processus de façon très inconsciente car, quelle que soit sa faille psychologique ou son histoire, rien ne saurait justifier un harcèlement sur qui que ce soit.


«La question n’est pas d’avoir un 'profil harceleur' mais plutôt de savoir ce qui empêcherait une potentialité harceleuse de passer à l’acte. […] absence d’intégration des interdits moraux, sidération qui interdit de penser, absence de limites, absence de cadre sécurisant. Dans le harcèlement, l’acte dit quelque chose du sujet harceleur […] de l’histoire infantile et des traumatismes psychiques.» (p. 190).

Elle rappelle l’expérience de Milgram et ses effrayants résultats qui ne se sont pas améliorés avec les années et avec ce que l’on aurait pu espérer de leçon tirée de l’histoire. En l’an 2000 cette expérience renouvelée sous la forme d’un jeu télévisé le jeu de la mort, ne témoigne plus de 65% de «tortionnaires obéissants» mais de 80%. Au point que dans la dernière minute, le scientifique se dit «terrifié» du pouvoir de la télévision.


Elle rappelle Machiavel qui souligne que l’obéissant consent finalement à être lui-même exécuté! Et va décortiquer chacune des postures possibles qui amènent à cette complicité, toutes ces bonnes fausses raisons que l’on peut se trouver, ce déni qui, on s’en persuade, nous déresponsabiliserait.


Enfin, dans la dernière partie de ce tome II, elle loue et explicite les soutiens que chacun de nous peut apporter, les travers dans lesquels il ne faut pas tomber et ce qui doit être exiger de l’autorité. Ces soutiens sont absolument vitaux pour les victimes et ce sont bien eux qui lui permettront de se reconstruire ou de traverser l’épisode traumatisant avec bien moins que séquelles. Elle rappelle évidemment le corpus juridique, civil, pénal et administratif, essentiels pour rétablir les positions de victimes et de coupables et nécessaires à l’harcelé comme à l’harceleur pour reprendre place dans la société humaine. Elle reprend également les différentes possibilités qui s’offrent à l’harcelé pour sortir de la situation de harcèlement et met en garde contre les perversions qui peuvent s’y cacher.


«Souvent le harcèlement ne dit pas son nom […] dissimulé par des manipulations d’ordre uniquement psychique. […] Seule une compréhension approfondie peut donner l’espoir d’une issue […] le tiers neutre extérieur et compétent est absolument nécessaire. Il s’agit de qualifier les faits, de libérer la parole, de stopper le processus d’agression, de responsabiliser individuellement les uns et les autres, de sanctionner le bourreau et les complices, de réparer le syndrome post-traumatique, de réinsuffler du sens, de l’idéal, des valeurs, du projet, de la confiance.» (p. 270).

 

Au travers de cet article, j’espère vous avoir donner l’envie d’acquérir ces tomes. Le harcèlement est l’instrument de l’état totalitaire et la compréhension de ses mécanismes est vitale pour appréhender ce que nous expérimentons, aujourd’hui et qui ne doit pas nous mener à vivre des heures plus sombres encore que celles que notre histoire a malheureusement déjà connues.

 

 

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